La poussée du RN menace notre système de santé
Elections législatives 2024dossier
Service de santé d’intérêt général sans dépassement d’honoraires, stock de
médicaments obligatoire, panier de soins remboursés à 100%… Face à l’extrême
droite qui met tous les problèmes sur le dos des étrangers, un collectif de
médecins appelle les partis politiques à proposer des mesures fortes et
d’urgence pour garantir l’accès aux soins en France.
par Collectif des professionnels et patients pour la refondation la santé
publié dans Libération le 14 juin 2024 à 12h17
La santé est un des éléments de la cohésion sociale d’une nation. La poussée
électorale de l’extrême droite s’explique en grande partie par l’aggravation des
inégalités sociales et territoriales. Mais cette poussée menace de remettre en
cause encore plus les principes républicains d’égalité et de solidarité sur
lesquels repose notre système de santé.
La garantie de l’accès aux soins sur l’ensemble du territoire est inscrite dans
la Constitution. Pourtant, l’accès aux soins dans notre pays est devenu
difficile pour de très nombreux habitants. Deux millions vivent dans des déserts
médicaux, 50% des médecins généralistes n’acceptent plus de nouveaux malades.
Pour les spécialistes, à un accès territorial difficile s’ajoutent les
dépassements d’honoraires qui constituent pour beaucoup un obstacle financier.
Notre système d’assurance-maladie a pourtant été conçu pour permettre à tous
l’accès aux soins grâce à une double solidarité, des plus aisés vis-à-vis des
moins fortunés et des bien portants vis à vis des malades. Or ces principes ont
été attaqués par la réduction des recettes (exonération de cotisations
sociales), la diminution des remboursements, l’augmentation du forfait
hospitalier journalier en cas d’hospitalisation et le doublement des franchises
; dépenses dorénavant couvertes par des assurances complémentaires (mutuelles et
compagnies d’assurances) moins égalitaires et moins solidaires, pour ceux qui en
ont une.
Recherche maximale de profit
Le président de la République avait affirmé au moment de l’épidémie de Covid que
«le jour d’après ne serait pas le retour au jour d’avant». Il avait
annoncé un conseil national de la refondation, un nouveau CNR faisant écho à
celui de 1945 qui avait créé la Sécurité sociale. Plus de deux ans ont passé
sans qu’aucune réforme ne soit mise en œuvre en dehors du doublement des
franchises sur les consultations, les médicaments et les transports sanitaires
et le projet de remise en cause de l’aide médicale d’Etat ; les quelques
annonces sur le «bien vieillir» ou pour faire suite aux assises de la pédiatrie
ne verront probablement pas le jour. Les professionnels de la santé attendent
qu’enfin la politique réponde aux besoins des patients et ne soit pas qu’une
politique budgétaire visant à réduire le périmètre de l’assurance-maladie en
transférant les charges vers un système assurantiel privé.
Dans le domaine du médicament, les ruptures d’approvisionnement sont devenues
majeures. Elles touchent les anticancéreux, les antibiotiques, les
antihypertenseurs, les vaccins, les corticoïdes, le paracétamol… En 2008 les
autorités sanitaires s’inquiétaient des ruptures au nombre d’une cinquantaine.
Elles ont été d’environ 5 000 en 2023… Ces ruptures s’expliquent par la
recherche maximale de profit par l’industrie pharmaceutique et préfigurent ce
qui peut arriver à l’ensemble de notre système de santé si le processus de
privatisation-financiarisation en cours, concernant les laboratoires, les
centres de radiologie, les cliniques commerciales et demain les centres de
santé, n’est pas stoppé.
Mettre fin aux ruptures répétées de médicaments
En matière de prévention alors même que le ministère s’intitule «de la santé et
de la prévention», en dehors du souhait d’installer à 25, 45 et 65 ans des
check-up (mesures dont l’efficacité est par ailleurs très discutée), aucune
orientation n’est annoncée alors qu’il est urgent de revitaliser la Protection
maternelle et infantile (PMI), la santé scolaire, la pédopsychiatrie, la santé
des adolescents, la santé au travail et de mettre en œuvre des politiques de
réduction des risques concernant l’alcool, le tabac, la nutrition, les
pollutions et les drogues.
La seule réponse de l’extrême droite à la colère sociale croissante est de
désigner l’éternel bouc émissaire en situation de crise : «l’étranger qui vient
manger notre pain». Alors que ces étrangers rapportent plus au pays qu’ils ne
coûtent, que la Seine-Saint-Denis, département le plus pauvre de France, est le
huitième département le plus contributeur au financement de la protection
sociale et que nous avons besoin des médecins étrangers pour faire marcher nos
hôpitaux et réduire nos déserts médicaux.
Pour combattre réellement le RN, les partis politiques doivent proposer des
mesures d’urgence pour améliorer la situation sociale de la population. Et une
fois arrivés au pouvoir, ils doivent les mettre en œuvre, et non se renier. La
santé fait partie des sujets prioritaires. Il est urgent de créer, au niveau de
chaque territoire, un service de santé d’intérêt général sans dépassement
d’honoraires et assurant la permanence des soins. La médecine de ville et les
établissements hospitaliers doivent y collaborer. Pour réduire les déserts
médicaux, il faut créer des centres de santé pluriprofessionnels liés aux
hôpitaux. Il faut mettre fin aux ruptures répétées de médicaments par
l’obligation faite à l’industrie pharmaceutique de disposer de stocks d’au moins
4 mois pour les médicaments essentiels et créer, comme aux Etats Unis
d’Amérique, pour les médicaments d’intérêt médical majeur, un établissement
public du médicament, à dimension européenne. Il faut définir un panier de
prévention et soins solidaire remboursé à 100% par la Sécurité sociale.
Enfin, nous avons besoin de professionnels de santé. Le «numerus apertus» mis en
place par le gouvernement permet une augmentation des jeunes médecins qui
entreront en activité dans une dizaine d’années, faut-il encore donner les
moyens de leur formation aux facultés de médecine et réguler la liberté
d’installation. Quant aux infirmières, la définition d’un nombre maximal de
patients par soignants dans les hôpitaux permettra d’améliorer la qualité des
soins. La formation et le recrutement de 100 000 infirmières avec une
progression salariale permettra de répondre aux besoins.
Nous considérons que notre République et notre démocratie sont en danger, et
nous demandons aux candidates et aux candidats des engagements sur la santé
prenant en compte les propositions énoncées.
François Bourdillon
(médecin de santé publique), Julie Chastang (médecin généraliste),
Mady Denantes (médecin généraliste), Anne Gervais-Hasenknopf
(hépatologue hospitalier), André Grimaldi (professeur émérite de
diabétologie) et Olivier Milleron (cardiologue hospitalier). Membres du
Collectif de professionnels et de patients pour la refondation de la santé
(CPPRS), créé en 2023, qui fait des propositions pour la réforme du système de
santé. La plupart de ses mesures sur l’ensemble du champ de la santé ont été
publiées par la Grande Conversation, la revue intellectuelle et politique
de Terra Nova et dans Notre santé 7 questions 7 réponses. Le débat confisqué
par André Grimaldi et François Bourdillon. Odile Jacob, Mai 2023.